Mesures asymétriques : ça tourne pas rond mais ça sonne quand même !

Mesures asymétriques : ça tourne pas rond mais ça sonne quand même !

Rythmes asymétriques

Du rond pour que ça sonne carré !

Qu’est-ce qui tourne rond en musique ? Les mesures binaires. Notamment, 90 % de la production occidentale mondiale, en 4/4.

C’est quoi du 4/4 ? Le chiffre du haut représente le nombre de temps dans une mesure. Ici, quatre. Le nombre du bas représente l’unité de temps. C’est facile pour le deuxième nombre : 1 = une ronde, 2 = une blanche, 4 = une noire, 8 = une croche.

Traduction : une mesure 4/4 est une mesure de 4 noires. Facile, non ?

Si je vous dis 3/4 ? Vous avez trouvé, c’est une valse, une mesure à trois temps à la noire. Sauf sur la piste, ça tourne déjà moins rond, mais on est habitué à ce rythme souvent lourdement accentué sur le 1er temps (merci, Strauss tsssss…)

2/4 ? Militaire, cette affaire : c’est une marche. 2 temps à la noire, 1er temps accentué qui aide… à marcher, exactement ! Si on avait 8 pattes comme les araignées, la marche pourrait être du 8/4.

Rien de sorcier.

Sauf que c’est bien gentil tout ça, mais déjà fin XIXe, les Noirs qui chantaient le blues n’accentuaient plus, comme les occidentaux, le 1er et le 3e temps de la mesure 4/4.

Olah, c’est quoi ces trois partout ?!

D’ailleurs, on divisait la mesure 4/4 en trois unités par temps. On ne réfléchissait pas en noires, donc, mais en triolets de croches. Est-ce bien clair ? Non ? Alors pour simplifier, on va écrire ça comme ça : ce n’est plus du 4/4, mais du 12/8.

3 croches par temps, tout simplement, donc des mesures à 12 triolets de croches.

Et on accentuait les 2e et 4e temps. Ce qui a donné l’afterbeat.

Cette accentuation du 2e et 4e temps est totalement rentrée dans les mœurs, en rock, en pop, tous les morceaux modernes en 4/4 utilisent l’afterbeat. Pourquoi ? Parce que ça bouge mieux, que ça sonne plus dynamique.

Quant à cette subdivision du temps en 3, ça a donné quoi ? L’interprétation ternaire si caractéristique du jazz. Même noté en 4/4, depuis le swing puis le be-bop, on ternarise et ça sonne comme La Panthère Rose [1]

Et puis ça donne aussi cette caractéristique de la mesure drivée, à la batterie, sur la cymbale ride, par ce qu’on appelle un “chabada” qui est une onomatopée représentant bien l’interprétation ternaire de la musique. C’est noté 4/4, mais en fait interprété 12/8 : regardez la main droite d’un batteur de jazz avec la grande cymbale ride [2]

Bon, et après ?

Si on arrêtait d’être si binaire dans la vie ?!

Si on quitte l’Occident, on se rend compte que le 4/4 est une vue très limitative de la musique. Par exemple en Afrique du Sud, les gamins dans la rue qui chantent et qui dansent ne fredonnent pas “À la claire fontaine”, morceau en 4/4. Ils sont directement imprégnés de rythmes qui “ne tournent pas rond”. Comme en Inde. Comme dans les Balkans (et ce n’est pas un hasard si Le Sacre du Printemps de Stravinski est tout sauf en 4/4…)

Comment ces gens très très évolués musicalement comptent-ils diable la mesure ?

En chiffres impairs.

Voici ce qu’on appelle, donc, le rythme “asymétrique”.

Nous allons en voir trois exemples, du plus facile à écouter au plus étrange et mystérieux. Parce qu’on est capable de tout faire sonner, en fait. Tout dépend comment on utilise cette particularité des mesures impaires.

7/4 !

Un premier exemple ? Le 7/4. Une mesure est composée de 7 noires. Problème : ça sonne comme une mesure 4/4 suivie d’une mesure 3/4. Ou comme une mesure 3/4 suivie d’une autre en 4/4. Trois temps forts, quatre faibles ou l’inverse. Il manque un temps pour l’oreille occidentale. On résout ? Soit on considère que la mesure à entendre fait trois temps et demi, soit on crée un cycle de 7 mesures pour retomber sur nos pieds. Il y a d’autres manières de faire, énormément, ce sont des combinaisons comme en maths, on peut jouer avec les accentuations, les subdivisions du temps, etc.

Un peu abstrait ? Non, voici un morceau de Mahavishnu Orchestra (John McLaughlin, guitariste) en 7/4, Cosmic Strut. Si vous battez la mesure comme sur du 4/4 (essayez sans vous énerver, c’est marrant vous allez voir comme sensation, soyez juste réguliers), vous verrez que vous êtes sur le temps 3 mesures et “à l’envers” (à contretemps) 4 mesures avant de revenir sur le temps.

Pourquoi on fait ça ? McLaughlin est très impressionné par la musique indienne (d’Inde), qui est majoritairement structurée par des cycles asymétriques. Ça laisse des traces, forcément. À tel point qu’il conçoit un métronome capable de compter les mesures impaires. Barré ? Non, ça sonne très bien 😉 Ça offre de nouvelles pistes de dynamiques à l’oreille simplement.

11/4…

On va plus loin dans l’horreur de la gestion des temps ? Voici une signature vicieuse, qui est le 11/4. Une mesure de onze noires. Les mêmes problématiques se posent, sauf que le point d’accroche se situe au 5,5 e temps. C’est plus compliqué à jouer parce que les repères se situent sur des mesures longues, dont tout dépend comment on accentue les temps pour modeler le rythme et le son. Mais vous allez voir, ici, ça passe tout seul. C’est notre amie bassiste Esperanza Spalding qui se lance dans ce morceau Crowed&Kissed. Difficile de faire aussi fluide et naturel en 11/4… On entend juste qu’il “manque” un demi-temps quelque part, ça bondit par-ci par-là et elle s’en sort tout de même. Comment ? En ayant une ligne de thème symétrique par-dessus hin ! hin ! hin ! On appelle cela de la “polyrythmie”. Le thème récupère le temps de la rythmique à la 12e mesure. Pas d’inquiétude, c’est très écoutable.

17/16 !!!

Allons plus avant dans l’impossible : Billyyyyyyyyyy Cobham. Oui, ce batteur de génie a “inventé” une mesure impossible à jouer, impossible à reproduire, avec un tempo impossible à suivre : le 17/16. À savoir : une mesure composée de 17 doubles croches. Bon, là, c’est certain, c’est abstrait. C’est un peu comme jouer sur du Pi/11, c’est original. D’après vous, est-ce que c’est capable de sonner ? Voici Flash Flood. Quand on fait ça, on ne peut pas battre la mesure. Il faut donc prendre comme repère un truc stable, ici la basse qui elle-même s’appuie sur les temps forts de la batterie, le temps le plus accentué étant le début de la mesure (on entend très bien un coup systématique de cymbale splash sur ce temps-repère, ce qui permet à la basse, puis donc à tout l’ensemble, de rester calés).

Alors, vous validez ?…

Notes de bas de page

[1] Générique – La Panthère  Rose

[2] Cours de batterie jazz avec Franck Agulhon – Rythme ternaire #2

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