Les Fleurs en fusion – les coulisses

Les Fleurs en fusion - couverture

Ce que j’ai essayé de faire

Ce n’est pas un secret : je suis docteur en Lettres et spécialisé dans la période 1848-1933. Baudelaire a beau être un peu galvaudé au collège ou au lycée – qui n’a pas souffert en apprenant par cœur Correspondances ou Harmonie du Soir ? – Les Fleurs du Mal regorgent de richesses. Surtout, les gens qui ont lu entièrement ce recueil de poésie emblématique du mouvement symboliste sont finalement assez peu nombreux. Et pourtant ! La force évocatrice de Baudelaire, qui hurle le temps qui passe et le néant qui s’enroule autour, qui évoque ces femmes empoisonnées et ces chats fantasmatiques dans des brumes suspectes à la recherche d’un idéal sans espoir, est un véritable jalon dans l’histoire littéraire.

Baudelaire montre entre autres que le réel n’existe pas. C’est son propre regard qui le crée et son verbe qui le recrée. De ce fait, seules deux sinistres certitudes surnagent : l’ultime solitude de l’humain prisonnier de son corps aux prises avec la conscience du temps, et l’inexorabilité de la mort. Dans cette débilité du statut humain, la Beauté montre son visage aussi salvateur qu’inquiétant. Salvateur car la Beauté donne sens, transcendant toutes les autres valeurs, y compris la morale et le Mal. Inquiétant, car elle n’est qu’un idéal qui jamais ne sera atteint, et qui porte donc en ses racines la promesse d’un échec.

C’est là toute la force du spleen baudelairien. De là à penser au blues jazzistique, il n’y a qu’un pas… qu’il faut franchir !!! Il faut y voir un clin d’œil qui réunit mes deux grandes passions, jazz et littérature…

Les outils

J’ai utilisé ici mon home studio habituel, à savoir :

  • Synthé principal et clavier maître / séquenceur : Korg Kronos 2 88
  • Synthés esclaves : Roland Integra 7 et Yamaha Motif XS Rack
  • Micro Shure SM58
  • Effets : processeur TC Electronic M350 pour le général, Avid Eleven Rack pour les sons guitaristiques et certains sons de basses, effets intégrés à la console
  • Console : Behringer X32 rack
  • Mastering : Berhinger Ultracurve Pro deq2496
  • Post prod : Izotope Ozone 8
  • Enregistrement en 24 bits / 48 kHz

Pour autant, dans ce projet, c’est véritablement le Kronos qui porte tout, les autres synthés n’étant là qu’en soutien. Dans quelques morceaux, j’ai utilisé le Karma en tentant de jouer le plus possible avec la personnalisation et de rester dans la maîtrise de cet OVNI musical. En règle générale, je déteste les automatismes. Mais l’avantage du Karma est qu’il est capable d’être expressif si on le tord bien. Pour autant, le maîtriser à 100% me paraît toujours impossible : trop de paramètres. J’ai simplement tenté de ne pas sortir du son et des ambiances auxquels je souhaitais parvenir. Pour mémoire, un morceau comme Une Charogne a demandé presque un mois pour arriver au son le plus proche possible de celui voulu, avec le Karma. Bon, l’avantage, c’est l’apprentissage que ça sous-tend…

La voix : oulà !

Pour moi, la grosse difficulté a été le traitement vocal. Je ne suis pas du tout chanteur, ni rappeur, ni slameur, ni… ingénieur du son ! Mais j’ai des notions de diction et de théâtre, simplement. La captation, à travers un micro Shure SM58 (sans bonnette, arf…) est produite via une entrée Line In du Kronos, et non directement par la console Behringer X32. Ceci pour une raison simple : j’avais besoin d’une bonne homogénéité sonore entre ma voix et la musique, et qu’on n’entende pas les raccords avec tous ces multiples takes. Mon enregistreur DAT Zoom L12 n’est pas assez performant ni précis pour permettre ces raccords, et ses fonctions de punch-in sont assez peu ergonomiques. Et oui, je sais, pas de DAW sur PC et donc pas de souplesse à la manière de Cubase pour cet aspect de la captation audio. Mais le séquenceur du Kronos fait très bien l’affaire !

J’avais aussi besoin sur ma voix de la palette importante des effets du Kronos, sachant que n’étant pas chanteur, encore une fois, j’ai eu besoin de booster un peu mon organe dans certaines fréquences, y compris en utilisant parfois des effets expressifs comme des délais. J’utilise aussi un de-esser pour compenser le manque de bonnette (re-arf). Mon objectif a surtout été de rendre les paroles des textes audibles et compréhensibles, ce qui n’est finalement pas une mince affaire de petite paire de manches !

L’objectif final : essayer de rendre ma voix compatible avec le sens des textes. Une question de ton, donc. Et franchement, avec le recul, c’est très difficile.

On me pardonnera donc, peut-être, certains réglages où on trouvera ma voix un peu trop artificielle. Mais dans le fond, ce n’est pas ma voix qui compte, encore une fois, c’est le texte, c’est ‘la voix qui vous dit’, et si elle est très désincorporée, très évanescente, parfois peu humaine, eh bien tant mieux : c’est le texte qui me semble vouloir cette exigence. En revanche, faute d’expérience, je n’affirmerai pas que la réalisation soit toujours réussie…

Tendances et clins d’œil

Je pense que j’ai été influencé par Hubert-Félix Thiéfaine, celui des débuts, concernant l’approche vocale et l’expressivité. J’y ai seulement pensé a posteriori, et puis c’est en toute humilité, parce que Thiéfaine est juste un monstre sacré.

D’un point de vue musical, j’assume entièrement une approche électronique proche du Nu Jazz ou de l’electrojazz, voire de l’acid jazz. J’aime l’idée d’une musique qui paraît neutre et inexpressive par son côté électro, pour justement créer de l’expression et du contraste avec la voix. Cela permet aussi qu’elle n’empiète pas sur les textes. L’équilibre textes/musique est vraiment important, et c’est ici Baudelaire qui prime sur absolument tout le reste.

Les ambiances musicales peuvent être soutenues par des effets sonores, comme dans Rêverie parisienne ou dans La Vie antérieure. Juste pour l’anecdote, pour ce dernier morceau, j’ai tenté de reconstituer la réverbération naturelle existant dans Notre-Dame-de-Paris en écoutant et réécoutant différents disques d’orgue classique ou de chœurs (Bach notamment) enregistrés là-bas, mon disque préféré étant la Toccata op.9 de Jean Guillou (un vrai Angevin, comme moi O:-) )

Cet album n’est donc pas un essai uniquement musical, mais plutôt une tentative de calage entre du texte, de la narration, et de l’illustration musicale qui ne trahisse pas le sens ni le ton du propos !

La Couverture de l’album

J’ai choisi un dessin (libre de droits) d’un illustrateur particulièrement emblématique de la période baudelairienne – même si un tout petit peu plus tardif -, Aubrey Beardsley, qui représente un thème absolument courant dans ces années 1850-1900 : la décollation de Saint-Jean le Baptiste par Salomé. Ce dessin fait partie d’une suite qui illustre la Salomé d’Oscar Wilde. Je ne rentrerai pas ici dans les détails, mais on peut y voir symboliquement l’âge moderne qui danse face à l’âge classique, et qui finit par avoir sa tête en assassinant la Beauté pour créer de la nouveauté, à la recherche d’un idéal encore inconnu et peut-être destructeur ou décevant. Ce thème parcourt les mouvements symboliste et décadent en littérature. On peut voir ici une fleur maudite pousser là où le sang du Saint s’écoule au sol. Et si la Beauté, mythe empoisonné, ne pouvait-être issue que du Mal ?…

 

Aubrey Beardsley-The Climax

Aubrey Beardsley -The Climax

Naviguez dans l’album !

  1. L’Albatros
  2. Hymne à la Beauté
  3. Une Charogne
  4. Confession
  5. Rêve parisien
  6. La Vie antérieure
  7. Un Fantôme
  8. Poème XLII
  9. Poème XXXIX

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