Piano jazz partie 4 : Thelonious Monk

 

Thelonious Monk

Le savant fou !

Sur le papier, le jeu de Thelonious Monk est le parfait exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire ! Mon prof de jazz m’avait même conseillé d’éviter de l’écouter, et surtout de le regarder jouer !

Et pour cause. Monk est né dans la musique, avec ses deux parents pianistes. Il commence par Liszt, Chopin, Rachmaninov, et fréquente l’église baptiste assidûment où il chante. Il remporte même des concours de piano amateur. C’est à 17 ans qu’il participe à une tournée évangéliste, et à 19, en plein début du bop en 1937, qu’il joue dans des petits rades new yorkais. Il est à cette époque très engagé dans la cause Noire, et refuse l’armée où il est réformé pour causes “psychiatriques”.

En 1941, il est au cœur du bop, en jouant au Minton’s Playhouse à Harlem. Il y croise tous les musiciens qui conforment ce nouveau style et, bien sûr, y contribue.

Il invente ici quantité de choses, d’un point de vue rythmique, harmonique, et même ‘spirituel’. Il devient tête de file, et certains de ses morceaux, comme ‘Round Midnight ou Epistrophy deviennent des thèmes à savoir jouer obligatoirement lors des jam sessions – alors qu’ils sont bien évidemment pratiquement injouables.

L’estime immédiate des musiciens, beaucoup plus lente du public

Monk gagne bien vite l’estime des musiciens. Mais le public ne comprend pas son jeu. Il est abstrait, peu mélodique – par rapport à la musique écoutée par les Blancs – et utilise des tournures de phrases abruptes et dissonantes. Pour autant, et c’est là un paradoxe important, Monk est invité par tous les grands du jazz de l’époque, de Parker à Gillespie, de Coleman Hawkins à Max Roach en passant par Bud Powell et Mary Lou Williams.

Il fréquentera alors les plus beaux labels de l’époque, entre Blue Note, Prestige ou Riverside, jusqu’à Columbia. Et c’est ici qu’il révolutionnera et le jazz, et le piano contemporain. Il gagnera un succès d’estime au fur et à mesure, jusqu’au milieu des années 75 où il aura joué avec les plus grands, et commis des dizaines de thèmes devenus depuis des standards patrimoines du jazz.

Monk : un mood, un style, une œuvre

Thelonious Monk n’a pas été aidé par sa bipolarité, qui a eu tendance à lui faire avoir une carrière en dents de scie. Pour autant, il a traversé chaque époque en y ajoutant sa personnalité profonde et un savoir-faire sans imitateur.

Il a créé un jeu de main gauche hyper complexe, sans simplification des accords, en toute complémentarité avec la main droite (parfois on ne distingue pas le jeu entre les deux). Il utilise des frictions jusque là ‘interdites’ en harmonie, notamment les secondes avec les fondamentales, ou les 7e de dominantes avec les 7e diminuées. Il popularise le mode ton-ton que l’on devait trouver, précédemment, à peu près inutilisable dans un contexte banal.

Monk a commencé par un jeu académique, puisqu’il savait interpréter parfaitement les compositeurs classiques romantiques. Il a déstructuré son jeu à dessein, pour créer un son particulier, bien à lui, tel qu’il l’entendait. Cela a donné ensuite une technique particulière, assez ‘laide’ à voir pour un regard purement académique, mais particulièrement irreproductible. Miles Davis, par exemple, révérait ses compositions – il a mis des années à apprendre à jouer ‘Round Midnight en demandant à chaque fois à Monk s’il y arrivait, Monk répondant invariablement ‘non’ pour le taquiner. Mais il n’aimait pas le pianiste.

L’harmonie modale à partir de Monk

Monk est le premier à déstructurer les modes en plaquant des accords composés de plusieurs modes simultanément. Par exemple, il peut parfaitement mêler une 9e juste et une 9e diminuée dans un même accord majeur, ce qui sonne comme un mode et majeur et mineur en même temps… Il n’hésite pas à détourner les fonctions des accords pour en créer de nouvelles couleurs, comme la quinte diminuée (11#).

Il introduit dans le jazz les accords demi-diminués ou les substitutions d’accords complexes de type tritonique (nous verrons cela dans la partie ‘harmonie’ de ce blog). Ces tourneries jazz resteront de grandes solutions de résolution d’accords en jazz et dans d’autres musiques, et surtout, feront sauter un grand nombre d’interdits. D’ailleurs, Monk n’hésitait pas à parler de ‘fausses fausses notes’ pour désigner ses trouvailles.

Enfin, à l’instar de Miles Davis, Monk introduit l’idée centrale de silence dans le jeu, pour faire longtemps résonner une note ou un accord, et créer du contraste avec le reste de l’orchestre. C’est d’ailleurs Monk qui a influencé Miles Davis sur ce point, même si le public jazz a oublié ce fait important depuis !

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