Apprendre à écouter du jazz (fusion) : partie 1 – idées reçues

Jazz : idées reçues

On va une fois pour toute stopper les idées préconçues. Voici une liste d’images d’Épinal à se rayer de l’esprit, et la réponse dans la foulée. On y va, on tue les idées reçues ? C’est partiiiiii !

Le jazz est déjà une musique d’intello, alors la fusion…

Toute musique demande un apprentissage. Par exemple, écouter Iron Maiden, ACDC, Jacques Brel, Mozart et même Mylène Farmer a demandé un apprentissage. Il a été plus ou moins long, plus ou moins conscient, plus ou moins volontaire. Comme pour manger des huîtres. Ou boire du vin. Et même faire un ‘french kiss’. Rien de tout ceci n’est nécessairement intuitif, et pourtant on finit par adorer un bon Bordeaux, par se marier, et par s’empiffrer de fruits de mer en étant malades à chaque Nouvel An !

Le jazz est un truc inécoutable et dissonant, ennuyeux au bout de 5 minutes

Le jazz possède ses codes propres. Il n’est inécoutable et dissonant que si on ne possède pas ces codes. En transposant, le roman du XIXe siècle est illisible et ennuyeux. L’architecture des années 30 est disproportionnée et monotone. L’impressionnisme est répétitif et pompeux. Et puis tout ça c’est élitiste. La pop des années 80, c’est toujours du “boum-boum”. Les séries américaines sont attendues et promeuvent une culture WASP. Etc. Etc. Le jazz n’est ni pire ni meilleur que les autres formes artistiques. Comme nombre d’entre elles, il demande qu’on se laisse un peu aller en s’ouvrant, et qu’on commence par le bon bout.

Le jazz ne donne pas envie de danser : tu as déjà été à un concert, avec tous ces mecs qui ne bougent pas et qui écoutent l’œil torve ?

Le jazz peut parfaitement donner envie de danser, et même de faire du parapente, de la glisse, du sexe débridé, etc. Dans ce blog, les exemples seront innombrables. Pour résumer, le jazz ne se cantonne pas à Sydney Bechet et à Petite Fleur, ni à Armstrong qui fait des grimaces en chantant What a Wonderful World. Le jazz est une musique de tripes, de récrimination, de révolte, de liberté. Ce n’est pas de la lessive, ni ce que le commerce américain en a fait entre les années 45 et 60 pour vendre du tube à ceux qui se désintéressaient du rock…

Là où il y a de l’électronique, c’est pour moi de la sous-musique ! Je préfère la musique classique / le rock traditionnel / la country

L’électronique est partout. Même là, devant vous, tout de suite. Elle est présente dans la musique russe dès les années 1917 ! (cf. Palais #07) En jazz, on a contribué à toutes les formes qu’elle revêt aujourd’hui, que ce soit dans les pratiques, dans les sons ou dans l’enregistrement numérique : il faut comprendre que ce courant est toujours en pointe, y compris technologiquement, et que sa vocation est de défricher. Ce qui le rend parfois bizarre et mystérieux, ou difficile à suivre. En apparence.

Le jazz est une musique de musiciens

Toute musique est une musique de musiciens. Mais le jazz est aussi une musique d’auditeurs. Même en 1937, dans les clubs New-yorkais, le jazz rassemblait des communautés autour d’idéaux communs, et permettait l’expression de ces idéaux. Le jazz est souvent encore aujourd’hui une musique intime, qui se joue en clubs, en toute proximité entre public et musiciens. On n’assiste pas souvent à un concert de jazz dans un stade de 70 000 places, même aux USA.

Le jazz est une musique de vieux. La preuve, aucun jeune n’écoute du jazz !

Le jazz est une musique de vieux ? Dans sa forme actuelle, il a hérité des années 30. Que dire alors de la musique de Bach, de Beethoven, de Mozart ?… Ceci est issu de l’image que l’on garde du jazz = be-bop. Mais non, le jazz continue de vivre aujourd’hui, dans différents courants, dans différents pays, il vit, il évolue, il revisite le passé, invente, crée, recrée. On ne peut pas en dire autant de tous les courants de musique actuelle !

Le jazz est au moins aussi vivant que l’électro, le hip-hop et les musiques de rue, parce que le jazz est resté pour une grande part une musique de rue. Il existe tellement de courants en jazz que certains sont vieux, d’autres très récents (comme le ‘ν Jazz’, lettre grecque ‘nu’ prononcée ‘New’, vous connaissez ?). Et certains vieux aiment les courants récents, certains jeunes les vieux courants, et le monde est ainsi fait dans toute sa superbe diversité !

Les musiciens de jazz s’écoutent jouer et se regardent le rectum : ils se fichent royalement des spectateurs !

Voir idée reçue suivante…

Le jazz est une musique de démonstrateurs. Le plus vite, le plus fort, le plus compliqué. Elle est où, la vraie musique ?

En jazz, il y a sans cesse des tentatives de renouveler le vocabulaire. Celles-ci induisent depuis toujours une singularisation du jeu. Un besoin de ne pas être limité, ni imité. Une nécessité d’explorer ce qui n’est pas explorable. D’acquérir des compétences en repoussant l’infaisable. De se dépasser et d’entraîner avec soi les musiciens avec qui on joue. Quand Charlie Parker a inventé le saxophone contemporain, il pouvait improviser sur un thème 45 minutes. Bien sûr, à l’époque, on enregistrait sur des 78 tours permettant au maximum, selon le format, de 1 à 5 minutes d’enregistrement, le plus répandu des formats étant le 25 cm proposant 3 minutes par face.

Alors il est difficile de croire que quand Parker improvisait, il ne s’écoutait pas jouer : c’est lui qu’on écoutait ! Jusqu’à un point tel qu’on raconte que souvent, lorsqu’il achevait son chorus, les musiciens autour, dans les meilleurs des cas, oubliaient de reprendre, et dans les pires, avaient cessé de jouer pour l’écouter (ce qui a donné naissance selon la légende au ‘stop chorus’, qui est le fait de jouer en solo total lors d’une impro, dans le silence des autres musiciens).

Pendant ce temps, la salle était tellement fascinée qu’elle non plus ne réagissait pas : silence absolu, aucun  applaudissement pendant de longues secondes. De la pure sidération. Est-ce un mythe ? Assurément non : j’ai vécu cela en vrai, trois fois, lors de concerts de Magma ou de Chick Corea. Et je peux affirmer que la salle n’était pas composée uniquement de musiciens, et que même des gens peu versés dans le jazz ont passé un moment… intense ? Même s’ils n’ont pas tout compris : aucun souci, ce n’est justement pas l’essentiel : ils ont tout ressenti…

J’ai autre chose à faire que d’apprendre ça en plus : moi, à part la radio, j’écoute pas de musique

On n’a jamais autre chose à faire que d’apprendre de nouvelles choses 😉 Pourquoi le jazz ? Parce que c’est une musique universelle, qui se nourrit aujourd’hui de toutes les autres musiques présentes et passées (c’est cela, la ‘fusion’) et qu’apprécier le jazz contemporain permet d’apprécier toutes les autres musiques. C’est donc simplement une question d’enrichissement personnel, mais beaucoup beaucoup plus : une question de plaisir !…

Bref : au diable les idées reçues !

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