Apprendre à écouter du jazz (fusion) : partie 5 – Jazz modal et polyrythmie en expansion – Magma

Toujours dans les années 70, c’est en France cette fois-ci que ça se passe ! Un certain Christian Vander, batteur de génie – sans doute dans le top 3 des plus grands batteurs de l’histoire du jazz – mais aussi chanteur, pianiste et compositeur, va créer un groupe unique dans les annales : Magma.

Christian a toujours été immergé dans la musique. Son père, Maurice Vander, est notamment le pianiste de Claude Nougaro. Sa mère fréquente les grands musiciens de l’époque, et à la maison, on croise les mythiques batteurs Kenny Clarke ou Elvin Jones. Mais c’est le trompettiste Chet Baker qui offrira à un Christian de 13 ans sa première batterie ! Le choc spirituel arrivera à l’écoute de John Coltrane sur le pick-up. Il saura alors profondément la voix qu’il aura choisie pour sa vie de musicien.

Principe de la petite encyclopédie partie 5

En 1967, Christian Vander est dans une période un peu sombre de sa vie. C’est l’année de la mort de Coltrane. En Italie, non loin de Milan, il joue dans des petits troquets et a connu dès 1964 le bassiste français renommé Bernard Paganotti avec lequel il écrit ses premières compositions. Mais selon le storytelling Magma, une nuit, Christian Vander a la révélation : il fonde en 1969 avec Laurent Thibault le groupe Magma. Immergé tout d’abord dans le jazz, Magma va s’en extraire pour englober des dizaines de substrats, parmi lesquels, outre Coltrane, on peut brièvement citer Carl Orff, Stravinsky, Bach, Wagner, Jimmy Hendricks, Otis Redding, mais aussi un très grand nombre d’influences en musiques circulaires, ou du folklore de l’Europe de l’Est, ou encore même afro-américaine.

Connaître Magma, en jazz fusion, est essentiel à au moins deux titres.

Un concentré du jazz français – et donc mondial – pendant 50 ans

D’une part, tous les grands musiciens français – et en 50 ans, ils sont très nombreux – ont fait leurs armes chez Magma. Le groupe possède deux grands piliers que sont Christian (composition, batterie, chant) et son épouse Stella Vander (chant). Quelques grandes figures poursuivent l’aventure depuis très longtemps (Isabelle Feuillebois, chant…) Mais Magma n’a cessé de se transformer année après année, et y sont passé Didier Lockwood (violon), Klaus Blasquitz (chant), Francis Moze (basse), Jannick Top (basse), François Laizeau (batterie), Jean-Luc Chevalier (basse), Benoît Widemann (clavier), etc. etc. Toutes les grandes figures de la musique française considèrent Magma comme un genre d’école du jazz, de la rigueur, du son, et de la progression.

Wikipedia propose une grande timeline de Magma (licence Wiki commons) :

Magma 1969-1983 Magma 1983-2020

 

Une vision de la musique unique qui a changé le cours de l’histoire de la musique

Magma va s’appuyer non sur des morceaux courts, comme Weather Report, mais sur des développements très longs, souvent sous la forme de trilogies rappelant les structures wagnériennes, dont chaque élément peut durer de 40 à 45 minutes. Ces longs développements permettent un traitement des structures en progressions (on parle d’ailleurs de jazz progressif ou de rock progressif), structurées sur des motifs (on dit des patterns) qui tournent sur quelques mesures et qui sont répétés indéfiniment, tout en progressant subtilement, souvent pour aboutir à des états de tension musicale, de dynamique et de puissance rarement atteints dans la musique jazz.

Les formations sont élargies, ce qui rend la gestion des tessitures extrêmement complexe car chaque partie ne se chevauche jamais et reste audible. Une formation possédait même deux basses (une grave, la “basse terre”, une haute, la “basse air”).

Les voix sont essentielles chez Magma, et sont traitées comme des instruments. Afin que le sens des paroles ne pollue pas la musique et que seules les vibrations l’emportent – un peu comme le saxophone de JohnColtrane – Christian Vander a inventé une langue, le Kobaïen, qui a fortement contribué à la renommée et au storytelling de Magma. Certains éléments linguistiques sont aujourd’hui figés et portent sens, mais ces significations ne sont pas centrales. En revanche, les sons vocaux sont uniquement conçus pour résonner, de manière organique, profonde, musicale. On y a plaqué beaucoup d’intentions par la suite, qui n’ont souvent pas lieu d’être.

Un laboratoire analytique hypercomplexe pouvant être écouté de manière simple et épidermique

Magma, comme grande formation, est un laboratoire d’expérimentation du son et de ce qu’un orchestre est capable de produire dans uns structure très écrite, très très rigoureuse, mais permettant des variations infinies de la part de chaque musicien. Cette musique est difficile à définir, sinon qu’elle est entièrement modale et qu’elle est donc parfaitement conforme à un héritage jazzistique des années 60. Plus, elle semble être en profonde continuité avec les musiques dodécaphoniques de Stravinsky ou de Berg, avec le tonimodalisme de Bartók, etc. Pour autant, elle ne doit pas s’écouter nécessairement de manière analytique.

Au contraire.

C’est aussi et surtout une musique qui cogne le corps, qui cogne l’esprit, qui entre toute seule dans un humain et qui résonne avec lui. Il est tout à fait possible d’écouter Magma sans la moindre connaissance musicale, à la condition expresse d’être ouvert et de laisser les a priori aux vestiaires. Quant à la légende qui sous-tend le mythe véhiculé par Magma, on peut simplement le considérer comme de l’héroic Fantasy.

Cette musique est donc tout sauf de la musique de docteurs en musicologie. Elle est accessible à tous.

Christian Vander

 

Ce type de musique donnera un courant du jazz fusion appelé “zeuhl” ou “musiques progressives”, mais Magma reste tête de file de ce courant.

Comment écouter Magma ?

Magma fonctionne donc sur des patterns (motifs répétitifs) qui évoluent dans un espace suffisamment long pour en explorer toutes les nuances. Pour écouter Magma, il faut être disponible et fixer son attention sur les basse-batterie, qui structurent tout l’ensemble, puis sur la manière dont tout le reste de l’orchestre s’enchevêtre autour pour développer progressivement le pattern.

Chaque morceau est donc constitué de phases, de moments, qui se transforment et reviennent, ou qui s’échappent totalement. Chaque morceau est soit très méditatif, soit violent et tente d’aller dans les plus lointains retranchements de la tension musicale. C’est une musique qui s’écoute fort.

Il existe assez peu d’enregistrements studio. Ils sont millimétriques, sculptés minute par minute.

Le reste des albums est constitué d’enregistrements live. Certains sont absolument fondamentaux (“Retrospektïw I, II, IIIBobino 1981Live/Hhaï Köhntark). Hélas, beaucoup souffrent d’une prise de son approximative, même si les technologies actuelles permettent des rééditions très améliorées.

De fait, en somme, pour écouter Magma, il suffit de se laisser aller ! Si on est musicien, en revanche, l’étude de Magma offre des trésors inépuisables.

EN FIN DE PAGE, RETROUVEZ UNE INTERVIEW EXCLUSIVE DE CHRISTIAN VANDER QUE J’AI MENÉE AUPRÈS DE LUI EN 2019 !

Magma : Köhntark Live
Niveau de difficulté d’écoute : 2.5/5

Magma Retrospektïw 1 – 2
Niveau de difficulté d’écoute : 2/5

Magma : Retrovision
Difficulté d’écoute : 2.5/5

Magma : Ëmëhntëhtt-Ré I (suivre la suite de l’album sur YouTube)
Difficulté d’écoute : 3/5

Interview exclusive de Christian Vander par Boris Foucaud – juin 2019

Interview à l’occasion du cinquantenaire de Magma, à l’occasion de la sortie de l’album Zëss et du grand concert commémoratif du 26 juin 2019 à la Philharmonie de Paris.


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