Le jazz fusion est constitué d’une multitude d’influences de tous horizons. Certaines sont fondamentales et se concentrent dans un compositeur ou un musicien, qui traverse tout le temps de manière emblématique.
Un fil directeur : Billy Cobham, l’exemple-type de la fusion
Nous osons la rupture forte avec la partie précédente orientée musique “classique” (années 1900-1945). Mais nous gardons un héritage direct à différents systèmes harmoniques directement issus de Stravinsky, Bartók et consorts.
Nous choisissons un fil directeur : Billy Cobham. Pourquoi ? Parce qu’il traverse absolument tous les courants de la fusion en tant que batteur, compositeur et arrangeur, et qu’il fait partie des meilleurs groupes en la matière. Il suit pas par pas l’évolution de la fusion, ayant ses racines profondes dans les batteurs de be-bop comme Tony Williams ou Max Roach, mais évoluant très vite vers des horizons différents et englobant la puissance de toutes les autres musiques. C’est le premier véritable trait d’union entre ces musiques “classiques”, le jazz, le rock et les musiques latinas. Le tout dans un seul musicien : ça c’est de la rentabilité, pas vrai ?
Une petite biographie de celui qui traverse le temps jazzistique fusion
Pour mémoire, Billy Cobham, c’est une contribution à plus de 150 albums depuis 1962 ! Il est né en 1944 et a donc, aujourd’hui, 75 ans.
Il apprend la musique à la New York’s High School of Music and Art et le premier groupe qu’il rejoint est celui du pianiste Horace Silver. Grâce à qui Cobham intègre bientôt l’orchestre de Miles Davis exactement tandis que ce dernier invente le premier disque de jazz fusion, en réaction au free jazz qui, selon lui, est en train de tuer définitivement le jazz auprès du public. C’est en effet Cobham qui officie dans le fameux Bitches Brew qui va transformer le jazz à jamais, et permettre de retrouver de nouvelles pistes de recherche hors du free ou de la redite du post-bop qui s’essouffle aussi face au rock naissant. Nous sommes en 1970… Cobham apparaît aussi sur A Tribute to Jack Johnson, que Miles Davis commet pour récriminer contre le blues qu’il considère désormais vendu aux Blancs : il y intègre de funk, musique Noire par excellence.
Cobham joue parallèlement dans de nombreuses formations, dont Dreams puis celle de Larry Coryell.
Rencontre fondatrice !…
Billy Cobham y rencontre alors le fabuleux guitariste John McLaughlin. Ils fondent le premier groupe totalement dédié au jazz fusion, le Mahavishnu Orchestra, dès le début des années 70. Ceci a une importance capitale : McLaughlin est alors très attiré par la spiritualité et la musique d’Inde, et il compose des système parfaitement inédits notamment sur des rythmes asymétriques, et en utilisant par exemple des quarts de tons jamais utilisés en musique occidentale.
Avec Billy Cobham, ils vont former un orchestre expérimental qui va jouer pendant des années et qui va fusionner jazz, rock, musiques modales du monde. Plusieurs albums reconnus comme étant majeurs dans l’histoire du jazz seront produits, comme The Inner Mounting Flame où on rencontre un Moog et un violon qui fusionnent pour la première fois. Jean-Luc Ponty rejoint la formation au violon. En 1973, Birds of Fire est commis. Des expériences ont lieu avec des enregistrements live dans Central Park à New York, puis avec le London Symphonic Orchestra. Le jazz fusion conquiert définitivement le public en 1975, lors d’un très célèbre concert au festival de Montreux.
Les meilleurs musiciens du moment…
Le groupe stoppe en 1976 tandis que McLaughlin continuera une carrière d’OVNI, et que Cobham produira des albums solos, dont Spectrum, Crosswinds, Total Eclipse, Shabazz, A Funky Tide of Things… Il s’entoure pour cela des meilleurs musiciens du moment, et fréquente pour ainsi dire la crème de la crème. Michael Brecker au sax et son frère Randy à la trompette, John Abercrombie à la guitare, différents bassistes dont Ron Carter, Alex Blake ou Lee Skelar, ou le pianiste peu connu mais surdoué (y compris en musique classique) Milcho Leviev.
L’avantage de ces formations mouvantes, c’est qu’elles permettent de tout tenter, de tout oser de manière débridée. Et d’intégrer tous les horizons si divers de chaque instrumentiste. Entre parenthèses, Cobham lance alors certains de ses pairs, Phil Collins, Danny Carey ou Bill Bruford.
Différents morceaux sont devenus des standards du jazz qu’il faut savoir jouer, dont Spectrum, Stratus ou Red Baron. Ces morceaux vont influencer notamment Chick Corea, Carlos Santana, Jeff Beck ou Larry Coryell. Cobham sera alors très demandé et accompagnera Stanley Clarke, Larry Carlton, Quincy Jones, Peter Gabriel, Donny Hathaway, George Duke… La liste est réellement trop longue pour être exhaustive.
Pourquoi Billy Cobham ?….
Dès lors, parcourir un peu les œuvres de Billy Cobham, c’est comprendre le trait d’union qui existe entre toutes les musiques intégrées dans le jazz fusion. C’est se plonger dans l’essence du genre à travers une musique exigeante, mais audible. Quand elle est plus complexe, elle possède une telle pêche, une telle force d’entraînement, qu’elle peut être écoutée sans être analysée. Et on y reconnaîtra les accents propres à Stravinsky et autres musiciens présentés en partie 2, totalement revisités par le jazz et les musiques modales et improvisées.
Donc, même si ça paraît hors sujet, surtout pour les musicologues académiques, non non : il y a une logique très claire et absolue dans le tissage existant entre Billy Cobham et l’héritage des musiques occidentales du début du XXe siècle. Bien évidemment, on aurait pu évoquer aussi le be-bop, la soul, le blues. Mais c’est à mon sens trop réducteur, mille fois trop convenu car ça enferme cette musique dans la mauvaise boîte. Ici, il faut justement ouvrir les boîtes, penser rock, penser musiques orientales, penser musiques latinas, penser big bands swing à la Duke Ellington, et puis arrêter de penser tout court.
Comment ça s’écoute, al fusion ?
Laissez-vous juste aller et rentrez au cœur des rythmiques. Appliquez votre attention sur la batterie, et sur la basse : les deux sont très intimement liés, et structurent tout le reste. Ensuite, écoutez comme les thèmes et les chorus s’enchevêtrent avec cette masse sonore et rythmique, grave et qui ressemble à un train qu’on se prend dans la figure? C’est une musique qui ne cesse jamais de pousser, d’avancer comme si l’avenir du monde en dépendait.
Puis écoutez le liant qui existe entre la basse-batterie d’un côté, et les instruments qui jouent le thème et qui improvisent (on appelle cela le lead). Ces instrument qui font des accords : claviers, guitares, ou sections cuivres, font le pont entre le rythme et l’harmonie. On appelle cette partie le side. Et vous constaterez ici une caractéristique majeure de la fusion : c’est qu’elle ne définit pas seulement la fusion entre musiques, mais aussi la fusion entre musiciens. Il existe dans cette musique une cohérence extraordinaire, d’autant plus que tout est loin d’être écrit, à la différence de la musique “classique”. Cela reste de la musique improvisée.
Je vous laisse juge. Une seule consigne : prenez votre temps et si vous ne comprenez pas certains morceaux, ce n’est pas grave. Profitez juste de leur dynamique, de leur énergie. Et n’hésitez pas à les réécouter plusieurs fois, non d’affilée, mais en quelques jours. Je vous promets que vous allez également apprécier certains de ces morceaux, mais il est impossible de prévoir lesquels.
Bonne écoute !