Ce que j’ai essayé de faire
Comme je n’utilise que de la lutherie électronique, dont on sait qu’elle est fort utilisée en jazz fusion et donc ce n’est pas un problème, eh bien avec l’âge me viennent des envies d’humanisation. Notamment concernant l’expressivité des sons, des instruments numérisés.
Dans les morceaux de cet album, j’ai tenté de jouer avec cette expressivité, en regagnant un tant soit peu quelques gimmicks propres à différentes familles instrumentales, notamment guitares et cuivres.
L’objectif n’est pas d’être dans l’imitation. En tant que clavier, je sais que je peux imiter pratiquement à la perfection, à l’enregistrement, un piano à queue, un piano Rhodes ou un Wurlitzer, un Clavinet ou un orgue Hammond. Je peux aussi imiter à la perfection tous les types de technologies synthétiques, des bons vieux analogiques à la synthèse numérique FM en passant par le sampling, etc. Normal, c’est mon boulot.
Mais je n’aurai pas la prétention d’imiter un guitariste, ce qui serait parfaitement ridicule. Ni encore moins un trompettiste. Ou un chanteur. En revanche, ce que je peux faire, c’est imiter leur dynamique et leur expressivité. C’est un énorme travail, surtout avec une matière numérique qui n’est pas vraiment, au départ, conçue pour cela. Mais cette approche est passionnante. Je sais que j’ai encore beaucoup de progrès à faire.
Je précise que pour les basses et les drums, ayant un peu pratiqué, c’est plus facile pour moi car je comprends (voire en basse, je maîtrise) les problématiques d’expression. Mais il n’est jamais question de réalisme dans les sons…
Ceci explique donc le titre de l’album…
Les outils
J’ai utilisé ici mon home studio habituel, à savoir :
- Synthé principal et clavier maître / séquenceur : Korg Kronos 2 88
- Synthés esclaves : Roland Integra 7 et Yamaha Motif XS Rack
- Micro Shure SM58
- Effets : processeur TC Electronic M350 pour le général, Avid Eleven Rack pour les sons guitaristiques et certains sons de basses, effets intégrés à la console
- Console : Behringer X32 rack
- Mastering : Berhinger Ultracurve Pro deq2496
- Post prod : Izotope Ozone 8
- Enregistrement en 24 bits / 48 kHz
Oui, je sais, à part pour piloter la console et pour la post-prod, pas de PC : pas de Cubase, pas de Cakewalk, pas d’Ableton… Je m’en explique également dans la section dédiée à mon home studio…
Tendances et clins d’œil
Je me suis appuyé sur le jazz rock des années 60 à 80 pour jouer sur des sons, justement, ayant encore un pied dans l’électroacoustique et non plus totalement dans le numérique. On se souvient de Weather Report et de son génial claviériste Joe Zawinul, qui a tout changé lorsqu’il a intégré la techno tout d’abord avec un Fender Rhodes, et avec un ARP 2600 (un semi-modulaire ultra puissant pour l’époque), puis son fameux Oberheim polyphonique 8 voix…
Weather Report, à l’inverse d’Herbie Hancock (cf. Dis is da drum) ou d’Elektric Band (cf. Beneath the Mask), ou plus encore de Yellow Jacket ou de Spyrogyra, et encore beaucoup beaucoup plus encore d’UZEB par exemple, s’est toujours placé dans une dynamique où l’électronique n’était qu’un support, un ciment pour napper un groove. Et un instrument lead à la même place que le sax de Wayne Shorter ou la basse de Jaco Pastorius lorsque celui-ci est en lead. Sur Machinic Scat, c’est cette approche que j’ai voulu choisir, avec une structure assez traditionnelle en fusion concernant l’organisation et les missions des instruments : un lead très différencié, du side au piano Rhodes la plupart du temps avec un soutien à la dynamique guitaristique de temps en temps, un set basse-batterie tout à fait traditionnel, et des instruments de chorus officiant parfois sur des temps longs, en musique modale bien sûr, comme il est de coutume en fusion. Pour autant, le morceau le plus long n’atteint pas 8 minutes.
J’ai donc repris un morceau de Wayne Shorter, Pinocchio, qui a une longue histoire, un morceau très 80’s de Marcus Miller joué par Miles Davis dans Tutu intitulé Portia (qui est joué de manière assez synthétique, pour trancher avec les autres morceaux). J’ai utilisé un thème de Billy Cobham issu de l’album Total Eclipse, Sea of Tranquility. Et sinon, c’est de la compo. J’explique les partis pris morceau par morceau dans les pages dédiées, pour ceux que ça intéresse. 🙂
La couverture de l’album
Elle représente une plaque qui a été apposée sur la sonde Pioneer 10 ‘Voyager’, lancée en 1972 pour mieux connaître notamment Jupiter ou Saturne. Des poètes de la NASA ont conçu un message à l’attention d’une hypothétique intelligence extra-terrestre (sait-on jamais…)
Ce qui est drôle, c’est que ce message est conçu pour être compris par n’importe quelle intelligence. On y voit un couple d’humains représentés devant une ébauche de la capsule à l’échelle, ce qui donne une idée de leur taille. On remarque aussi la place de la Terre dans le système solaire, et la trajectoire schématique de la capsule. D’autres symboles excessivement compréhensibles ont été dessinés…
On adore les 14 pulsars au centre de la Voie Lactée (pas 15 ni 13), le délire hydrogénique en haut à gauche à la représentation universelle, et l’abécédaire de l’octet. Simple comme bonjour, tout comme le signe de paix du mec, tandis qu’Ève à côté joue la potiche avec son air désolé.
Cette plaque représente très bien, je trouve, la lutte entre l’homme et la machine. Non pas une lutte à la Terminator, mais une lutte pour savoir comment l’un se place par rapport à l’autre. On sent que les concepteurs de cette plaque, Eric Burgess, Carl Sagan et son épouse Linda, en ont vraiment chié 😀 . Je trouve que ça illustre métaphoriquement très bien la lutte pour l’expressivité en musique numérique.