S’il y a bien un secteur qui ne peut pas souffrir du déclinisme ambiant, c’est bien le piano jazz contemporain français ! Et celui-ci est particulièrement riche, et indissociable de Michel Petrucciani.
Né dans une famille de musiciens jazz (papa guitariste, frangins bassiste et guitariste…), Michel a vécu, après une enfance méditerranéenne, en Californie puis à New York. Il n’est un secret pour personne qu’il est atteint d’une maladie très difficile, la ‘maladie des os de verre’. Il est à noter qu’il souffrira plusieurs fois de factures en direct, lors de concerts. Mais nul ne l’a jamais vu se plaindre.
Du fait de cette maladie, il reçoit à la maison des cours particuliers, et son père lui offrira une très solide formation musicale. Michel chante du jazz à trois ans, joue du piano à quatre, et à treize accompagne le grand trompettiste américain Clark Terry !
Dans les années 80, il part aux USA et enregistre notamment avec Aldo Romano, batteur grande figure du jazz hexagonal. Puis c’est le premier artiste non américain à signer pour le prestigieux label Blue Note, à l’époque où il joue souvent au Club Village Vanguard à New York.
À partir de ce temps, il jouera partout dans le monde, avec une petite prédilection, en tant que compositeur, pour l’influence latina, aussi discrète que subtile.
Michel Petrucciani va jouer le plus possible, sans doute jusqu’à un certain épuisement. Entre-temps, il aura repoussé les limites de la technique pianistique, à travers une rare indépendance des deux mains de mon point de vue très ancrée dans un héritage classique (Bach ?), et une fluidité dans la virtuosité peu commune. Le jeu de Michel Petrucciani se reconnaît les yeux fermés, et a influencé une cohorte de pianistes du monde entier.
Mais surtout, Michel Petrucciani a laissé sur le jazz une vision du monde très éclairante, sur la nécessité de mettre la musique au service de l’émotion et l’expérience au service de la transmission. Il a joué avec les plus grands musicien des années 80 et 90, jusqu’à Dizzy Gillespie. Mais il garda toujours une accointance avec le jazz hexagonal (ou jazz français), auquel il offrit le son qu’il conforma pendant tous ses voyages musicaux autour de la planète. Il joua en effet, pendant sa période chez Dreyfus Records, avec Stéphane Grapelli ou Eddy Louiss, comme un retour aux sources de la belle époque avec Aldo Romano, de la même famille de musiciens. Et ce jazz hexagonal, il le partagea partout, toujours, sans cesse. Cette fusion de l’être avec la musique, cette fusion des cultures, c’est sans doute cela la plus profonde philosophie du jazz contemporain. Une école de l’ouverture d’esprit, du don, du partage et de la transmission.
C’est sans doute Wayne Shorter qui est parmi ceux qui parlent le mieux de Michel Petrucciani :
“De nombreuses personnes de grande taille marchent et sont qualifiées de normales. Ils ont tout ce qu’une naissance normale peut offrir : une bonne taille, de longs bras, etc. Ils sont symétriques en tout point mais vivent comme s’ils étaient dépourvus de bras, de jambes ou de cerveaux, dans la plainte. Je n’ai jamais entendu Michel se plaindre de quoi que ce soit. Michel ne se regardait pas dans le miroir pour se plaindre de ce qu’il voyait. Michel était un incroyable musicien, incroyable parce qu’il était un incroyable être humain et c’était un incroyable être humain car il avait la capacité de ressentir et de transmettre ce sentiment par la musique. Tout ce que vous pouvez dire d’autre sur lui n’est que formalité. Ce n’est que de la technique et ça ne veut rien dire pour moi.“