McCoy Tyner est profondément enraciné dans l’approche pianistique du jazz modal. Dans cette optique, il représente la véritable charnière entre le jazz issu du bop, et l’ère d’après, le post-bop.
Il faut savoir que très jeune, mcCoy Tyner est le petit voisin de Bud Powell, ce qui aide à progresser au piano ! Mais ce qui va changer son approche et en faire un pianiste tout à fait unique, c’est sa rencontre avec John Coltrane. Le quartet de 1960 composé également de Jimmy Garrison à la basse, et d’Elvin Jones à la batterie, va catégoriquement rebattre les cartes et créer une cassure nette avec tout ce qui provenait du bop. Même si parallèlement McCoy Tyner enregistre pour le label Blue Note du hard-bop avec Freddie Hubbard ou Joe Handerson notamment, et surtout Wayne Shorter qui lui aussi dérivera très vite vers le jazz modal sous la houlette de Miles Davis, il ne pourra plus se détacher de cette approche modale.
À la mort de Coltrane en 1967, même s’il enregistrera sous son nom, il mettra beaucoup de temps à retrouver ce son spécifique et tellement en avance sur son temps.
McCoy Tyner fait partie de ces rares musiciens qui ont participé aux grandes et profondes révolutions esthétiques. Ainsi, lorsque la vague est passée et que la pilule a été avalée par les musiciens et le public, il s’est retrouvé déstabilisé, mais néanmoins capable d’absorber comme une éponge toutes les expériences du temps. McCoy Tyner a donc fait partie intégrante de tous les grands courants post-bop à partir du jazz modal, en passant par le free jazz ébauché par Coltrane à la fin de sa vie et poursuivi par Alice, l’épouse de cette dernière, puis par le jazz fusion. Il a depuis enregistré pour tous les grands labels, dont Columbia ou Elektra.
La technique de McCoy Tyner a inauguré des pistes aujourd’hui encore toujours étudiées par tous les pianistes de jazz modal contemporain. Il est fatiguant de constater qu’on ne parle de McCoy Tyner que pour parler de John Coltrane alors que, même si leurs destins sont liés, la personnalité de ce pianiste est suffisamment explosive et originale pour être évoquée distinctement.
En tant que sideman, on remarquera une utilisation spécifique de la main gauche (il est gaucher) qui marque avec force le rythme, avec l’utilisation d’accords en empilements de quartes qui flottent autour de la fondamentale, ce qui donne un relief tout particulier au leader. Ce jeu est un lien très fort entre la section rythmique et le lead, et permet de manière pratiquement hypnotique d’entériner la scansion d’un thème ou d’un chorus, de manière quasi mystique.
Par ailleurs, dans une optique modale, McCoy Tyner ne cherche pas tant la justesse harmonique que l’expressivité et la tension du jeu. Ceci offre des possibilité extrêmement étendues au discours narratifs lors des chorus, n’hésitant pas à développer des patterns répétitifs en les agrémentant, au fur et à mesure, de cette fameuse tension coltranienne qui peut permettre un chorus pratiquement infini et toujours renouvelé sur un seul morceau.
En chorus, McCoy Tyner fait preuve d’une ébouriffante indépendance des mains, assignant une fonction précise à chacune, la gauche continuant à marteler le rythme, la droite étant maximaliste, flamboyante, puissante.
De plus, l’orchestre entier soutient celui qui est en chorus. Il ne fait qu’un. Cela permet de créer un socle en béton armé sous le leader, lui permettant d’aller au bout de son idée.
Enfin, McCoy Tyner, avec Coltrane mais aussi ensuite, défriche d’une manière profonde des modes, des structures d’accords, des phrasés qui resteront des références pour tous les pianistes – même s’ils ne savent pas toujours que c’est à McCoy Tyner qu’ils doivent ces tournures…