Un Moog ? C’est quoi cet animal ???

Un Moog, c’est ceci :

Ce type de machine pouvait véritablement ressembler au 22 à Asnières…

Les premiers “vrais” synthés : une révolution jazzistique !

Concrètement, il s’agit des premiers synthés qui ont pénétré les studios et les scènes du monde entier. C’est vieux, car la boîte est créée en 1953, d’où l’usage du bois et le poids. On imagine bien qu’au début, c’est expérimental, que c’est à l’opposé du jazz qui est une musique acoustique et spontanée. Les grosses machines dites “modulaires” sont très onéreuses, font des bruits dignes d’une radio quand on cherche une chaîne et qu’on ne la trouve pas, et sont des instruments de recherche acoustique dans les universités.

Mais dans les années 70, Moog qui a eu de gros soucis financiers avec ses ingénieurs déconnectés du réel commence à sortir des gammes de synthétiseurs plus simples et plus abordables. Et ce ne sont pas des machines qu’on utilise en rock ou en pop : le son est trop décalé et expérimental. D’autant que malgré les apparences, ces claviers sont monophoniques et donc limités (une note à la fois), jusqu’au Polymoog qui lui tombe en panne toutes les cinq minutes, y compris sur scène en plein milieu du meilleur chorus de toute une carrière.

Pour couronner le tout, les Moog ne disposent pas de mémorisation des réglages.

La boîte va donc tranquillement mourir dès 1975, pour finir morte et enterrée en 1993, assaillie par Yamaha, Roland, Korg, Kawai, Oberheim, Kurzell, EMU et autres Akai. Dur !…

Bon, Moog n’est pas vraiment morte, elle a été rachetée, puis rachetée, puis rachetée. Puis rachetée.

C’est très injuste en fait, parce que Moog a tout inventé.

Moog a tout inventé, comme Socrate en philo !

Ce type de synthé est analogique, c’est-à-dire que ses oscillateurs (ce qui produit du son) sont uniquement issus de courant électrique. Les premiers Moog n’en possèdent qu’un (on appelle ça un “VCO”), puis deux ensuite, et même trois. On modélise la courbe de base au fur et à mesure. Par exemple, on part d’une sinusoïde ou d’un signal carré ou en dents de scie, on lui fait subir différents filtrages – passe-haut (VCF), passe-bas (LFO…), on la fait passer par un ampli paramétrable (VCA), on lui inflige si on veut un vibrato, et puis une attaque, une vélocité, une durée, un sustain (bref, une ‘enveloppe’), et youpi, on a un son. Si on a deux oscillateurs, on fait la même chose avec le second et on superpose les deux sons selon des modes de priorité (en série, en parallèle, etc.) ce qui nous donne les principes du machin.

Pour ceux que ça amuse, on parle de synthèse soustractive : on part d’une courbe qui existe déjà, qui possède des harmoniques, et on la retravaille en atténuant ses caractéristiques brutes par filtres successifs. Dans les synthèses additives, c’est un peu le contraire, comme vous pouvez le deviner.

Bref, Moog a inventé tous les principes du synthé analogique. La concurrence du digital viendra très tôt, avec Fairlight notamment, dans les années 80, sachant que ce genre de machine vaut le prix d’une maison. À l’inverse du Moog.

Et la pratique dans tout ça ?

En pratique, allez, il faut bien le dire : ça révolutionne le jazz, car le Moog se démocratise en plein essor de l’électrification exigée par le jazz-rock. On joue couramment avec des pianos électriques Fender Rhodes, voire des orgues Hammond. On est encore très pianistique dans l’approche, même si l’orgue bien utilisé et torturé avec des effets commence à sonner comme un instrument se détachant du clavier.

Mais le Moog apporte un attirail d’expressions inédit : glissandos, portamentos… c’est un instrument de soliste. Il permet de redéfinir la place du clavier dans le groupe, le faisant passer au lead. Autre avantage : les tessitures et fréquences du Moog permettent de passer au-dessus des autres instruments et d’être très audible sans pour autant faire de purée, entendre par là sans écraser qui que ce soit : aucun chevauchement de fréquence.

Bref, c’est tout un nouvel univers qui s’ouvre aux claviéristes. Ils n’allaient pas manquer ça !

Inventer des sons… Enfin !

Et puis, autre nouveauté : enfin, un pianiste de base pouvait inventer ses sons. Il en avait ras la frange de voir tous ces guitaristes sculpter leurs sons tels des ciseleurs de fréquences, tandis qu’eux hurlaient parce que les micros captaient mal les médiums de leur piano désaccordé.

Qu’est-ce que ça donne en pratique ?

Vous allez reconnaître les sons tout de suite, c’est totalement passé dans les mœurs désormais. Pour vous illustrer le propos, le son est tellement recherché qu’en 2018, on recrée des synthés modulaires façon Moog. Même le big boss, le Korg Kronos, possède un moteur de ce type parmi ses 8 autres, le MS-20ex.

L’émulation du MS20 du Korg Kronos

On voit ici l’un des très très nombreux écrans de contrôle du Kronos qui représente le panneau d’un synthé modulaire. Évidemment, dans ce cas, il sonne comme un Moog (impossible de déceler la moindre différence). Ces tessitures vintage sont donc toujours très recherchées.

Voici en exemple Billy Cobham, batteur d’exception tête de file du jazz fusion, sur lequel je ne manquerai pas de revenir. Cet enregistrement date de 1976 (d’où le son un peu mauvais), et le morceau, Stratus, grand standard devant l’Éternel, bénéficie du savoir-faire de George Duke au Moog.

Parce que j’aime les Portugais et, en plus, une Portugaise, j’ai trouvé un truc délirant qui s’appelle Ananga-Ranga, qui en 1977 se torturait aussi les méninges sur les possibilités offertes par le Moog en jazz. Ce morceau, Privado, est juste très improbable. Vraiment, à savourer dans son genre.

Moog en 2020 : des clones technologiques pour une philosophie ‘root’

Les vrais Moog d’époque sont toujours trouvables en occasion, aux risques et périls de l’acheteur, sauf si ce dernier est équipé d’un bon fer à souder et de la science qui va avec. Mais il existe des clones récents et fiables. Je vous propose un morceau d’un groupe français que j’adore, référence dans le jazz fusion mondial, Sixun. Six pointures pour le prix d’une. Sixun aussi sera prétexte à un billet ici même.

Le pianiste, Jean-Pierre Como, a dû s’offrir un Moog pour ses 40 ans je suppose. Vous pourrez ici profiter d’un morceau intitulé Tooklao (à partir de 24:04). Chorus au Moog vers 27:00. Un autre sur le morceau Aligogo (59:50) vers 1:01:50. Vous allez pouvoir admirer la manière dont le son se détache du reste de l’orchestre en toute complémentarité, avec une clarté tout de même rarement atteinte en lutherie électronique. C’est sans doute pourquoi les sons analogiques reviennent en force aujourd’hui, même si l’aspect vintage est aussi très recherché en électro ou en hip-hop.

Si les technos musicales appliquées vous intéressent, n’hésitez pas à laisser un commentaire : si c’est dans mes cordes (ou plutôt dans mes touches), je me ferai un plaisir de vous faire partager un complément d’info, ou de vous parler d’autres technologies vintages qui ont eu de grandes répercussions dans l’histoire du jazz, y compris jusqu’à 2020.

Boris Foucaud

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Boris Foucaud

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