La question est compliquée !
Par “méthode”, entendez-vous un livre ou un cours ? Si oui, la réponse est : en harmonie, La Partition intérieure de Jacques Siron est de loin le plus exceptionnel travail existant en la matière. Mais… si c’est hypercomplet, c’est aussi hyperthéorique et hypercomplexe.
Pour les cours, la meilleure école en France reste le CIM.
Maintenant, la “méthode” prise dans le sens de : “comment devenir un bon improvisateur en jazz” permet une réponse plus facile, mais aussi paradoxalement plus difficile. Si on imagine le jazz comme un trajet personnel, comme un apprentissage ininterrompu, qui dure toute une vie, alors il y a plusieurs prérequis.
Pour cela, le conservatoire classique est une option, pour quelques années, au début. L’autodidactisme en est une autre, mais avec le risque de prendre de mauvaises habitudes de plus en plus irréversibles. Auquel cas, quelques cours particuliers, au début, ne sont pas de trop. Il est des erreurs pas graves, d’autres très pénibles à corriger parce qu’elles entravent les muscles ou les articulations, et les mauvais automatismes qui s’installent presque irréversiblement : autant les éviter tout de suite.
une fois l’instrument un peu maîtrisé, le jazz va exiger des positions de mains, des façons de penser spécifiques – non reconnues par l’académisme des conservatoires. Et on s’en fout. Par exemple, en jazz, on ne pense pas en tierces mais très souvent en quartes. Au piano, on va vite apprendre à placer ses mains différemment, pour faire des “block chords” ou des “clusters” avec des positions et des écarts de doigts qui sont tout, sauf académiques en musique classique. Et puis on va aussi vite se rendre compte que l’approche musicale n’est pas celle du classique : en jazz, on doit comprendre tout ce qui se passe, et ne pas seulement interpréter des choses déjà écrites. On est plus “acteur” de ce que l’on fait. Une partition jazz (une ‘lead sheet’), cela semble toujours très dépouillé à un musicien classique. Il n’y a que le thème qui semble noté de manière familière. Mais il y a beaucoup de signes ésotériques par ailleurs. Eh oui, le jazz, c’est de la musique modale (ou parfois tonimodale ou polymodale ou etc.) et donc pour improviser, il faut connaître l’harmonie et les modes, et la manière de les interpréter.
Il y a donc des fondements à connaître qui sont nécessaires. Ils semblent théoriques mais doivent être appliqués, et ils s’appliquent avant tout de manière personnelle. C’est ici où la démarche peut sembler bizarre et éloignée du Conservatoire. Par exemple, c’est quoi une septième ? En do, c’est un accord qui donne do -mi-sol-si bémol. Si on tape ça sur un clavier de piano, ça ne sonne pas jazz. On va interpréter l’accord de beaucoup de manières possibles selon ce que l’on veut dire ou faire ressentir. Si la basse fait un do, on pourrait faire un si bémol-mi-la -ré-sol-do, ce qui techniquement est un accord septième, mais qui est renversé auquel on a ajouté une sixième et une neuvième, et là ça sonne jazz. Mais ce n’est pas souvent expliqué dans les méthodes… Dans le même sens, c’est quoi un VI-II-V-I, c’est quoi un cycle de quintes ? Comment on utilise une pentatonique ? C’est quoi un polyaccord ? Des notes fonctions, des notes couleurs ? Au début, cela semble une énorme usine à gaz. MAIS EN FAIT NON, pas du tout. C’est seulement une logique propre, une grammaire spécifique, comme quand on apprend une nouvelle langue.
Ainsi, prendre sur un an dix cours avec un jazzeux pédago pour comprendre les jalons fondamentaux et reconstituer, ensuite, SON PROPRE TRAJET est une solution géniale. Pourquoi ? Parce qu’on apprend ces fondements, on se les approprie et qu’on forme son propre trajet en étant soi-même. Au fur et à mesure, l’instrument se plie, l’esprit s’affûte, l’oreille s’apprivoise, et les mains font ce qu’on a envie qu’elles fassent en temps réel. Comme les mouvements des muscles de la bouche lorsque l’on parle. Plus de 70 interviennent, alors qu’on ne pense pas à chacun d’eux lorsqu’on prononce un mot ! Ainsi, au fur et à mesure, l’improvisation se construit, comme un discours intérieur, comme un langage. Selon des codes communs aux autres musiciens, mais avec un vocabulaire personnel. Ceci explique également le titre de l’ouvrage de J. Siron, La Partition intérieure…
Et comme pour tout apprentissage d’une langue : écouter, écouter, écouter, écouter. Au début, de tout. Du rock et de la pop et de la musique classique. Et du jazz, bien sûr. Tous les jazz, tous les courants. Il y en a un ou deux qui, comme par magie, vont titiller davantage les émotions que les autres. Ou un musicien précis également. Pour moi ça a été la fusion des années 70 qui a ouvert tout un horizon d’autres musiques ensuite. Accentuer l’écoute sur son instrument de prédilection, évidemment. Puis apprendre à écouter de manière différenciée, sur un morceau, seulement la basse. Seulement la batterie. Puis la basse/batterie. Et comment le piano ou la guitare se greffent dessus. Comment ces constituants interagissent. Puis comment le thème et les solistes s’appuient et s’enroulent autour de cette structure profonde. Comprendre comme les musiciens s’écoutent. Se contrarient. S’opposent. Combattent. Jouent Ce que donne le résultat global, le morceau, comment il évolue, bouge au fil de sa narration.
Par ailleurs, il faut aussi apprendre à battre la mesure de manière ultra-régulière, comme du marbre, sur n’importe quel morceau de jazz, afin d’acquérir un métronome en béton armé dans sa tête. Parce qu’ensuite, il sera question, rythmiquement, d’effectuer des petits prodiges aussi facilement que de dire bonjour, tout en restant toujours calé. Battre la mesure sur le morceau des autres sans sortir du rang, pendant 20 minutes d’affilée… Facile ? Au début, absolument pas. Il suffit d’essayer sur du Chick Corea, du Herbie Hancock, du Billy Cobham ou du Magma… On peut commencer par des choses simples comme de la bossa classique, puis complexifier au fur et à mesure. Puis varier les plaisirs : battre la mesure sur des morceaux asymétriques, en 5/4, en 7/4, en 3/2. Sur les morceaux binaires comme ternaires. Comprendre où se situent les accents, les lignes de force.
Et puis parallèlement, jouer, jouer, jouer. Lentement, reproduire ce qu’on entend et puis inventer. Lentement puis à vitesse normale. Toujours y aller progressivement. Tout seul, puis en groupe(s), ou inversement. Jouer tous les jours, même 20 minutes, mais tous les jours. Et penser que, comme il s’agit d’un trajet, il faut être patient, que ça va bouger par déclics pendant toute sa vie. Qu’on va continuer d’apprendre, de s’émerveiller, de tenter. Qu’il y aura des moments de fatigue, de découragement. Mais que le virus est là, tapi au fond de soi, et qu’il ne demandera qu’à ressortir.
C’est cela, je pense, la meilleure méthode qui soit : s’immerger et se construire soi-même. Donc, on peut prendre tous les cours du monde, lire les meilleurs livres possibles : cela ne remplacera jamais le fait de faire et d’essayer et de tenter et d’écouter et de reproduire et de retenter et, en définitive, de devenir soi. Y a que le premier pas qui coûte 🙂
Le 31 juillet 2020 https://youtu.be/ZfCIT-FOgM8
Le 30 juillet 2020 https://youtu.be/_5hr1I0OUf4
Le 28 juillet 2020 https://youtu.be/AtQFgdBI538
Le 27 juillet 2020 https://youtu.be/c_0cJdoiznw